Une réflexion sur la famille, la charge émotionnelle et la dyade.
Il y a longtemps euh non, un peu plus d’un an en fait, quelqu’un m’a dit : “Il y aura la bulle couple et la bulle parent.” J’avais gardé ça dans un coin de ma tête, sans trop comprendre comment c’était possible de séparer les 2 dans le cas d’un nouveau-né mais soit, j’avais d’autres chats à fouetter, notamment m’occuper de ce nouveau-né. Puis, il y a quelques jours, coup sur coup, deux personnes de la famille de son père ont ajouté sur moi une charge émotionnelle très forte. La première m’a dit que c’était dur pour elle de ne pas nous voir. La seconde m’a dit que je ne devais pas oublier que j’avais une famille de coeur. Qu’ils avaient choisi de ne pas prendre parti parce qu’ils nous aimaient tous les deux, son père et moi.
D’abord sous le choc, j’ai pris mon temps pour répondre. Mais surtout, j’ai réfléchi. Et j’ai repensé à cette phrase trouble d’avant la naissance. Et je me suis rendu compte que sous leur air gentils, 1. ils avaient pris parti 2. ce n’est pas à son père qu’ils faisaient ce genre de remarques 3. Il n’y a jamais eu de bulle bébé. Alors j’ai envie de prendre le temps de développer un peu.
Ne pas prendre parti, c’est prendre parti.
Je crois que quand on dit qu’on ne prend pas parti, c’est une illusion. Ne pas prendre parti, c’est prendre le parti du plus fort. De celui qui impose. Du dictateur. Ne pas prendre parti, c’est acquiescer, c’est entériner sans questionner pour ne pas “se fâcher” ou dit autrement, pour ménager la chèvre et le chou. On pourrait dire que c’est acheter la paix sociale, je dirais de monc côté que c’est lâche.
Je sais déjà que si jamais mon fils faisait un truc pareil, je ne considèrerai pas que je prendrai parti en lui disant que ce qu’il fait est inadmissible. C’est inadmissible. Je ne considèrerais pas que je prendrai parti en lui disant, ne pars pas à 500km. Pas maintenant, tu ne connaitra pas ton bébé si tu fais ça. Et s’il le faisait quand même, il ne remettrai pas les pieds chez moi de sitôt. Je ne considèrerai pas non plus prendre parti, si à Noel, il décidait de ramener sa nouvelle compagne alors que son bébé à moins de 8 mois, et que je lui dirais NON quitte à ne pas passer ce Noel avec lui. Parce que ce qu’il a fait est inadmissible. Et ce, peu importe les raisons.
Et quand on m’a dit “Crois-tu que j’ai eu le choix?” Pour la première fois de ma vie, j’ai répondu. Oui. Vous aviez le choix. Vous pouviez lui dire NON, c’est peut-être un peu tôt, ou NON ça ne se fait pas ou même — soyons fous — NON, ce n’est pas une bonne idée que tu as là. Ce n’est pas prendre parti. C’est pointer un (mauvais) comportement et ça fait partie de l’éducation.
Ne rien dire, laisser faire, accueillir l’autre etc. c’est prendre parti. C’est dire en filigrane “OK mon fils, pas de problème, je te suis.” A quel moment en est-on arrivé à confondre ne prendre parti et respect ? Aux enfants, on apprend – maintenant – que quoi qu’il arrive on les aime. S’ils font des belles choses, on les aime, si on est fâché après eux, on les aime. S’ils sont enthousiastes, rieurs, espiègles, boudeurs, on les aime. Pour autant, cette émotion ne doit pas servir de prétexte pour ne rien dire.
C’est à celui qui a l’enfant qu’on fait peser la charge émotionnelle du départ de l’autre parent.
Ça m’a frappée. Pendant une minute, je me suis demandée si elle osait dire la même chose à son fils. Et puis je sais que non. Elle ne lui dit pas parce qu’elle n’a jamais vraiment rien dit. Parce que à quoi bon. Parce que “une fois qu’on a dit ça, ça change quoi ?”
Bah ça change tout en fait. Ça change la personne qu’on fait culpabiliser implicitement. Ça change le soutien. Ça change la charge émotionnelle qu’on ne rajoute pas à celui- celle qui en a déjà suffisamment. Ça change tout donc.
De la bulle couple et la bulle bébé.
Cette phrase, sur le coup, je m’y suis un peu raccrochée même si je ne la comprenais pas. Erreur. Car il n’y a jamais eu de “bulle bébé.” Dans mon cas, cette phrase est un non-sens. Mais c’est aussi considérer que la maman et son bébé son 2 entités distinctes dès la naissance. Or on le sait, côté bébé, il faut près de 8–9 mois avant que le bébé comprenne qu’il n’est pas la même chose que sa maman, ça s’appelle l’angoisse de la séparation. Côté maman, c’est aussi et peut-être encore plus complexe. C’est le post-partum, c’est aussi la matrescence.
Mais nos sociétés “modernes” ont oublié ce quatrième trimestre (qui peut durer plus que 3 mois). Nos sociétés patriarcales ont considéré qu’une femme redevenait une femme juste après la naissance. Et par femme, j’entends ici capable comme avant — se lever, faire à manger, tenir la maison, travailler etc. mais aussi “objet de désir” pour l’autre parent. En tous cas, on fait tout pour dissocier la maman du bébé. Un congé paternité ridicule, des injonctions diverses et variées, un congé maternité inégal et trop court…. C’est une erreur. La maman est en fusion avec son bébé même s’il est sorti de son corps, quelque soit sa situation.
En langage swahili, il y a ce concept magique Mamatoto qui signifie “maman-bébé”. Il rappelle que la mère et le bébé ne sont pas deux personnes séparées mais bien une dyade co-dépendante. Ce qui a un impact sur la mère aura un impact sur le bébé et vice-versa. Ce qui est bon pour un est bon pour l’autre.
“La naissance d’une mère c’est intense, déboussolant et parfois même effrayant. Si en plus on n’a pas en place tout ce qu’il faut pour nous soutenir quand on perd nos repères, je vous jure qu’alors la détresse psychologique est à portée de main.” Karine — Quantik Mama
Alors non, il n’y a pas de bulle couple et de bulle bébé. Il y a cette dyade unique et fragile. A soutenir et à aider pour que l’un comme l’autre puissent (re)naître avec les bonnes dispositions pour la suite. Et pour cela, le rôle du deuxième parent est essentiel. Vital. C’est moins visible que l’allaitement. Pourtant, s’il n’est pas là, il n’y a pas d’équilibre. C’est un rôle primordial, qu’on voit de façon négative — s’occuper du bon fonctionnement de tout, s’occuper de la maman — alors qu’on ne devrait pas. Mais si on s’occupe de la maman, on s’occupe de l’enfant. Si la maman n’a pas de charge émotionnelle autre que se remettre de l’accouchement et répondre aux besoins du bébé, on s’occupe du bébé. Ainsi, si ce deuxième parent ne prend pas ce rôle, il n’est pas parent. C’est le village qui prend le relai.
Il y avait donc bien un parti à prendre, celui du mamatoto.